L'ambassadrice des États-Unis au Liban, Dorothy Shea, a réagi samedi à la décision du juge des référés à Tyr, Mohammad Mazeh, d'interdire aux médias opérant au Liban d'interviewer la diplomate après ses propos sur le Hezbollah, en affirmant que l'ambassade US "ne sera pas réduite au silence".
Le juge Mazeh a décidé samedi d'interdire aux médias libanais et étrangers travaillant au Liban d'interviewer, durant un an, l'ambassadrice des États-Unis, au lendemain d'un entretien qu'elle avait donné à la chaîne al-Hadath, et dans laquelle elle affirmait que le Hezbollah "empêche toute solution économique" au Liban en crise, prévenant que des sanctions pourraient viser des alliés non-chiites du parti pro-iranien.
"C'est malheureux (la décision du juge, NDRL), et je pense qu'il s'agit d'une distraction", a affirmé l'ambassadrice à la chaîne locale MTV. J'aurais aimé que les Libanais se concentrent plutôt sur les solutions aux problèmes auxquels fait face leur pays, sachant que celui-ci est frappé par une crise économique et que les gens s'inquiètent de ne pas pouvoir manger à leur faim. Donc non, l'ambassade des États-Unis ne sera pas réduite au silence. En tout cas, j'ai déjà reçu des excuses de la part du gouvernement libanais après cette décision du juge. Mais le plus important, c'est que les Libanais ne voient pas que leur liberté d'expression est touchée", a poursuivi la diplomate.
L'ambassade américaine a également réagi sur Twitter : "Nous croyons fermement en la liberté d'expression, et le rôle important que jouent les médias libres aux Etats-Unis et au Liban. Nous nous tenons au côté du peuple libanais".
Dans une décision rédigée à la main et que L'Orient-Le Jour s'est procurée, le juge Mazeh explique qu'une note d'information via e-mail a été envoyée samedi au tribunal des référés de Tyr. Elle provenait d'une personne, Faten Ali Kassir, qui a entrepris cette démarche après avoir écouté l'interview de l'ambassadrice US à la chaîne arabe al-Hadath, "dans laquelle la diplomate a fait des déclarations insultantes à l'adresse du peuple libanais pouvant inciter à la discorde et exacerber les tensions intercommunautaires. Ces propos constituent ainsi une menace à la paix civile et le vivre-ensemble". Le juge explique que la plaignante "demande que des mesures soient prises pour mettre un terme à ces déclarations".
Heurter "les sentiments de nombreux Libanais"
Le juge Mazeh explique ensuite que "même si la note d'information a été transmise durant un jour de congé, au vu de la dangerosité du sujet", il "lance immédiatement l'enquête de sa propre initiative de manière non publique, et mènera les investigations qu'il jugera nécessaires (...)". Le magistrat revient ensuite sur le contenu de l'entretien de l'ambassadrice américaine, en évoquant ses propos sur le Hezbollah, tout en se gardant de nommer le parti dans sa note. Le juge estime que les propos de Dorothy Shea "portent sur des affaires intérieures libanaises et violent les usages et coutumes diplomatiques consacrés par les traités internationaux".
Pour le juge, ces propos "heurtent les sentiments de nombreux Libanais (...) et constituent une incitation aux dissensions communautaires, confessionnelles et politiques". Il a ainsi "décidé d'interdire durant un an à tous médias, libanais ou étrangers, audiovisuels ou écrits, d'interviewer l'ambassadrice américaine, sous peine d'être interdits d'exercer durant un an (...)". Le magistrat a ensuite transmis une copie de sa décision au ministère de l'Information et au Conseil national de l'information afin que ceux-ci la diffusent auprès des médias.
Les autorités libanaises critiques le juge Mazeh
Des sources au ministère libanais des Affaires étrangères ont affirmé à la chaîne LBCI que "la décision de justice en question est contraire aux traités et conventions internationales, notamment la convention de Vienne qui régit les relations diplomatiques", dans une critique claire de la décision du juge Mazeh.
La ministre libanaise de l'Information, Manale Abdel Samad, a également critiqué la décision du juge. "Je comprends l'attachement de la justice à la sécurité du pays face aux ingérences de certains diplomates dans nos affaires intérieures. Mais personne n'a le droit d'interdire aux médias d'informer ni de limiter la liberté de la presse. Si quelqu'un a un problème avec les médias, la solution doit provenir du ministère de l'Information, de l'Ordre de la presse, en coordination avec le Conseil national de l'information, et enfin devant le tribunal des imprimés", a écrit la ministre sur son compte Twitter. Toutefois, elle a démenti les affirmations de l'ambassadrice Shea selon lesquelles le gouvernement a présenté des excuses à la diplomate. Mme Abdel Samad a ainsi appelé à clarifier les informations sur les parties qui aurait présenté ces excuses.
De nombreux partis et responsables politiques ont également condamné la décision du juge Mazeh. Dans une réaction à la chaîne LBCI, le juge Mazeh a affirmé que sa décision est "dénuée de toute motivation politique".
Le Liban connaît une crise économique et financière aiguë. Après avoir fait défaut sur le remboursement de sa dette en dollars, le pays a demandé l'assistance financière du Fonds monétaire international, mais cette aide ne s'est toujours pas concrétisée en raison des discussions qui font du surplace. Dans ce contexte, Washington entend mettre la pression sur les autorités libanaises afin qu'elles soient plus fermes envers le Hezbollah, allié de l'Iran et ennemi juré des États-Unis.
Dans son entretien à la chaîne al-Hadath, Dorothy Shea a estimé que le gouvernement libanais de Hassane Diab était "contrôlé par le Hezbollah". Elle avait également affirmé que la loi César, entrée en vigueur le 17 juin et qui impose des sanctions sévères contre quiconque soutient le régime syrien de Bachar el-Assad dans certains secteurs économiques, "n'est pas dirigée contre les Libanais et l'économie libanaise". Mercredi, le secrétaire d’État américain Mike Pompeo avait lui souligné que les États-Unis "sont prêts" à soutenir le gouvernement libanais si celui-ci engage de véritables réformes et s’il le fait sans être "redevable" au Hezbollah. Le directeur des opérations du Pentagone au Moyen-Orient, le général Frank McKenzie, avait pour sa part affirmé que l'armée libanaise offrait "la meilleur opportunité pour assurer la sécurité et la souveraineté du Liban", coupant ainsi court à des informations sur un éventuel arrêt des aides américaines à l'armée libanaise.
L'ambassadeur britannique critique le Hezbollah
Dans ce contexte, l'ambassadeur du Royaume-uni au Liban, Chris Rampling, a lui aussi critiqué clairement le Hezbollah. Il a ainsi affirmé dans un entretien au média britannique The Independent dans sa version arabe que le parti chiite "porte atteinte à la stabilité du Liban et de la région".
"L'année dernière, il a été décidé d'interdire intégralement le Hezbollah, notamment sa branche politique. Ceci constitue une partie importante de notre politique. L'une des raisons de cette décision est que nous avions constaté qu'ils œuvraient depuis des années de manière directe, et dans toute la région, contre la politique de distanciation. Ils ont eux-même dit qu'il n'y a pas de distinction (entre la branche politique et la branche militaire du parti, NDLR), et cela déstabilise également le Liban", a affirmé M. Rampling dans cet entretien. Le 25 février 2019, Londres avait annoncé considérer le Hezbollah dans son intégralité comme une organisation "terroriste", et non plus seulement son aile militaire. Cette décision était entrée en vigueur en mars 2019.
La décision du juge des référés à Tyr intervient dans un climat de répression des libertés au Liban, alors qu'une contestation populaire sans précédent secoue le pays depuis le 17 octobre 2019 contre une classe politique jugée corrompue et incompétente. Certains manifestants appellent également au désarmement du Hezbollah, seule formation à avoir maintenu ses armes après la fin de la guerre civile en 1990.
L'ambassadrice des États-Unis au Liban, Dorothy Shea, a réagi samedi à la décision du juge des référés à Tyr, Mohammad Mazeh, d'interdire aux médias opérant au Liban d'interviewer la diplomate après ses propos sur le Hezbollah, en affirmant que l'ambassade US "ne sera pas réduite au silence".
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June 27, 2020 at 11:21PM
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