La tournée d’avant-première de Nous, soignants a débuté par Laval (Mayenne). « Une terre qui souffre de son système de santé local », selon Claire Feinstein et Gilles Perez, coréalisateurs du documentaire. Une ville aussi où les étudiants infirmiers se sont déplacés en nombre pour assister à la projection. Un choix symbolique, alors que le duo a parcouru la France en long et en large trois mois et demi durant, à la rencontre des soignants dans leur diversité : médecins, infirmiers, auxiliaires de puéricultrice...
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Durant deux épisodes de 52 minutes, Nous, soignants donne la parole aux principaux témoins du délitement du service de santé français, considéré en 2000 comme le meilleur du monde par l’OMS (Organisation mondiale de la santé). Leurs témoignages prennent le pas sur les images, un parti pris rare dans un sujet fréquemment traité par les journalistes et documentaristes. Sous-titrée Santé en France : pronostic vital engagé ?, la production sera diffusée ce mercredi 29 novembre à 22 h 40 sur France 3 . La chaîne publique organise d’ailleurs une soirée spéciale et programme Infirmières, notre histoire dès 21 h 10.
Claire Feinstein et Gilles Perez (réalisateurs) : « Une photo Polaroid de l’état de santé des soignantes et soignants »
Comment faire un documentaire original sur un sujet maintes fois traité, et qui revient sans cesse dans l’actualité ?
Gilles Perez : Des documentaires sur le monde hospitalier ou celui des soignants, il y en a eu des milliers. Tous sont en immersion. Notre propos est différent. Il consiste à donner la parole à l’ensemble du monde soignant, public ou privé, pour lui permettre de dresser un portrait du système de santé en France d’aujourd’hui. Ce qu’on a découvert est effarant. Lorsqu’on leur donne la parole, pour qu’eux se saisissent de cette thématique, ils ont beaucoup de choses à nous dire. Or, ce fut un gros problème jusqu’à présent : on les a entendus lors de manifestations, mais on ne les a pas vraiment écoutés.
Claire Feinstein : On a oublié que derrière ces paroles, il y avait des vies, des engagements, des vocations, des fragilités. Le système de santé n’existe que par ses soignants. Des humains qui ont un parcours qu’on connaît peu. On voulait rentrer dans leur intimité : leur première fois, leur rapport à la mort, la façon dont ils vivent la course au temps. L’idée était de lier ces particularités-là avec une narration sur l’état du système de santé.
Au milieu de ces témoignages émergent des séquences fortes, comme celle à l’hôpital d’une patiente attendant de longues minutes qu’on l’emmène aux toilettes, ou cette secrétaire d’un cabinet médical qui refuse des patients...
C.F. : Il fallait aussi que l’on respire par moments, et l’image permet d’être immergé. Le téléspectateur est avec nous, à côté de cette vieille dame qui attend dans le couloir et vit ce temps qui passe. C’était important de ne pas les oublier.
G.P. : Ces séquences ont été compliquées à filmer. Il fallait ensuite sélectionner au montage celles qui avaient un caractère emblématique. La secrétaire médicale est symbolique de l’attente, du nombre de médecins traitants. On l’a tourné quasiment une demi-journée durant, ça n’arrêtait pas. Les rendez-vous sont pris deux mois et demi avant. Pour de la médecine générale, pas pour un dermato. C’est ahurissant. La secrétaire médicale elle-même commence à avoir des compétences ; elle peut trier les urgences. La mamie qui attend dans son siège, on avait des séquences encore plus longues avec des papys dans des brancards, mais ils ne disaient pas autant la douleur de l’absence de soin immédiat. Le terme est dur, et ne rend pas justice au dévouement du personnel soignant, mais c’est de la maltraitance que de devoir attendre huit heures. Ce n’est pas normal. Comment en est-on arrivé là ? On essaye d’y répondre dans le documentaire.
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Justement, vous abordez des thématiques concrètes comme la tarification à l’activité, l’accélération du rythme ou la remise en cause de la notion première du soin. Vous aviez la volonté d’en faire un film politique ?
C.F. : Non. Le travail d’un documentariste est de partir des faits. Le résultat est que l’état du système de santé résulte d’une succession de choix politiques.
G.P. : Ce sont des choix faits par des gouvernements successifs. Ce n’est pas une question de couleur politique ou de parti. C’est un film public. En s’intéressant à l’organisation du soin en France, on intervient forcément dans le débat public. C’est le sens de prendre la caméra : prenons le temps de se poser collectivement et de se demander quelle place voulons-nous donner au système de santé en France.
C.F. : Les différents témoins ne sont pas de mêmes bords politiques. Ils se rassemblent sur le fait que la santé doit échapper au débat transpartisan et aux couleurs politiques.
G.P. : Nous aimerions que les responsables politiques s’emparent d’un tel film, pour ouvrir des concertations et décider de choix forts. C’est une photo Polaroid de l’état de santé des soignantes et soignants.
Au-delà du constat, vos interlocuteurs évoquent aussi des solutions concrètes. C’était nécessaire pour vous d’être force de proposition ?
C.F. : En les écoutant, on se rend compte qu’ils ont les solutions. Ceux qui les connaissent le mieux, ce sont ceux qui sont sur le terrain et il faut partir du terrain pour mettre en place des politiques pertinentes. Tout a été déjà documenté, mais ça n’est pas mis en place. C’est une volonté politique qui doit affronter des lobbys.
G.P. : La décorrélation entre l’action politique et le terrain trouve son acmé à partir de l’entrée des cabinets de conseil dans la décision publique et politique des ministères. Jusque-là, ils passaient par la hiérarchie et les syndicats. Les cabinets de conseil, cette tierce personne, n’ont pas de compétence sur le système de santé. Ils obéissent à d’autres objectifs, vendent un diagnostic, puis vendent sa mise en œuvre, puis vendent la solution aux problèmes de cette mise en œuvre. Or, il faut désormais les convaincre avant les politiques.
Une de vos intervenantes le rappelle : on ne se pose pas la question de la rentabilité du système éducatif…
C.F. : C’était une réflexion pertinente de la part de Sabrina Ali Benali (médecin urgentiste en Île-de-France). Des systèmes doivent échapper aux lois du marché si on veut que tout le monde en profite.
G.P. : Ce qui n’empêche en rien une école privée ou des cliniques privées. Mais le critère de rentabilité ne doit pas devenir le critère numéro 1. Or, il est devenu décisif dans la gestion du système de soin français.
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Vous avez entamé un tour de France pour présenter votre documentaire. Quels ont été les retours de vos intervenants ?
C.F. : Une dizaine de témoins a pu venir à celle de Paris. Ils ne se sentaient pas trahis. Certains avaient déjà reçu des caméras, mais c’était la première fois qu’ils racontaient leur ressenti. Ne pas les avoir hiérarchisés selon leur métier leur a permis de se sentir comme un corps. Qu’ils soient médecins ou aides-soignants, qu’ils viennent de Saint-Omer (Pas-de-Calais) ou d’Épinal (Vosges), ils racontent la même chose.
G.P. : Certains nous disaient « merci de nous avoir enfin écouté ». Cela répond aussi à notre propre culpabilité. Ils sont essentiels à notre survie, on l’a vu durant le Covid. On a eu collectivement le geste juste et légitime de sortir les applaudir sur les balcons, car ils ont pris le risque de se mettre en première ligne. Mais le lendemain de la fin du confinement, on les a oubliés. On s’est détournés de leurs demandes quand ils auraient eu besoin qu’on les écoute. Dans ce tour de France des sous-préfectures, on a vu des services d’urgences, des maternités fermer. C’est aberrant. Mais pourquoi a-t-on fermé les yeux et les oreilles ?
Infirmières, notre histoire, 21 h 10, France 3
Nous, soignants, 22 h 40 sur France 3
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