La cité charentaise ne bouillonne pas seulement à l'occasion du festival de la bande dessinée dont la 51e édition s'ouvre ce jeudi. Elle est aussi reconnue mondialement comme une référence dans la production de dessins animés.
Quand David Beauvallet, chargé du développement des métiers de l'image à Angoulême, nous embarque dans son véhicule parcourir les rues de la ville, la liste des fleurons de l'animation semble sans fin : "Xilam qui a créé Les Zinzins de l'espace est à votre droite, Superprod qui signe Pat the dog s'est implanté plus haut... C’est aussi là qu’a été conçue en partie Grizzy et les Lemmings, l’une des séries d’animation les plus vues au monde sur Netflix". Une visite des studios comme à Hollywood. Le climat est radicalement différent avec quelques degrés au thermomètre en ce mois de janvier mais l'effervescence des lieux s'y rapproche sans aucun doute.
Pour le touriste de passage, impossible de prendre conscience de l’omniprésence de ces entreprises dans l'ancienne cité du papier, plus connue comme la capitale de la bande dessinée avec son célèbre festival international, dont l'édition 2024 débute ce jeudi 25 janvier et fête cette année ses 50 ans.
Rien n’indique l'ancrage de ces usines du dessin animé dans la ville. "Il n’y a pas d’écriteau sur les bâtiments pour ne pas attirer les convoitises. Il y a derrière ces adresses et façades des ordinateurs coûteux, des serveurs informatiques derniers cris et des projets confidentiels."
En tout, 35 sociétés produisent ici des séries et longs métrages pour la télévision, le cinéma, les plateformes de streaming ou les nouveaux médias comme Youtube. Toutes ne sont pas propriétaires de leurs locaux, David Beauvallet en a les clés. La structure Magélis qu'il représente, pour être totalement précis. L'organisme public a été créé en 1997, surfant sur l'image de la ville autour de la BD pour élargir ses horizons vers les effets spéciaux, la réalité virtuelle, les jeux vidéo, l'animation.
Portée financièrement par la ville, le département et la région, Magélis est un ovni méconnu en termes de levier économique. Dans cette préfecture de 41 000 habitants, le secteur emploie l'équivalent de 1 500 temps pleins. 300 supplémentaires en un an. "Et on s'attend à des années 2025, 2026, 2027 fleurissantes", s'enthousiasme David Beauvallet. Angoulême s'est déjà hissée comme la 2e place forte de l'animation en France. Le studio Ellipse, à pied d'œuvre sur le prochain Marsupilami, vient d'annoncer se développer encore davantage à Angoulême en dédiant un nouveau pôle à l'adaptation de webtoons.
En plus des aides à la production versées aux studios, plusieurs milliers de mètres carrés d’espace de travail leur sont désormais réservés dans la ville. Pour les attirer dans l'Ouest de la France, à 2h11 de Paris en TGV, Angoulême rénove, construit, réhabilite à tour de bras. Au cours de la dernière décennie, la boulimie de contenus des géants du streaming a accéléré le nombre de productions "made in Angoulême". Magélis est en capacité de trouver des surfaces plus vastes quand le carnet de commandes s'étoffe ou de participer au maintien de l'activité quand celui-ci faiblit temporairement.
"En toute honnêteté, je ne connaissais pas Angoulême avant de venir", confie Tanguy Launay, animateur 3D qui a débuté sa carrière dans le jeu vidéo. Il officie chez Superprod et travaille sur une nouvelle série, Heroic Football, bientôt sur les écrans (son entretien est à retrouver en intégralité dans la vidéo ci-dessus). "C'est aujourd'hui la ville qui propose le plus d'opportunités avec Paris. On peut avoir une maison plutôt qu'un appartement, on peut se déplacer plus facilement. La qualité des studios et des projets fait que l'on a envie de rester".
Une migration des talents s'est opérée. Il n'est d'ailleurs pas rare que des conjoints travaillent dans des studios concurrents, à quelques rues de distance et se retrouve le soir à parler boulot. "C'est vrai que ça fait parfois tourner en rond", reconnaît avec le sourire Alexandre Bretheau, ancienne main de la série Marvel What if et fondateur du studio Loops spécialisé dans l'animation 3D générée en temps réel, une innovation de pointe sur laquelle mise aussi Angoulême. "En voulant quitter Paris, on ne savait pas où on allait et une fois arrivé à Angoulême, on a été frappés par un esprit artistique. On se reconnaît d'ailleurs entre graphistes et animateurs quand on se balade."
Ces nouveaux habitants fournissent une main d'œuvre essentielle aux studios. Il y a aussi celle formée sur place au sein de 15 écoles supérieures dont les cursus s'adaptent aux besoins des entreprises. Sociétés de productions et établissements travaillent main dans la main. "La présence des studios permet de faire intervenir en classe leurs collaborateurs et meilleurs experts, d'offrir des alternances et stages aux 1 800 étudiants angoumoisins, puis des emplois dans la foulée", explique le directeur de l'école "L'Atelier", référente dans l'animation 2D et fondée par Thomas Debitus, passé par Disney. "Il y a une très belle employabilité : un tiers de nos étudiants reste à Angoulême à l'issue de leur formation, un tiers rejoint Paris et un tiers part essentiellement dans les studios étrangers qui recrutent à la sortie de l'école".
La structure Magélis aide les établissements par des subventions. Une action de plus dans "ce cercle vertueux que l'on a imaginé", reprend David Beauvallet. Les acteurs sont imbriqués. L'EMCA appartient, lui, par exemple, à la Chambre de commerce et d'industrie et s'est installé dans un ancien château, une propriété du département. "Entre trois et cinq écoles, studios ou collectifs d’artistes choisissent de s’installer à Angoulême chaque année." Magélis a également eu l'idée de faire émerger un incubateur à destination des étudiants pour les accompagner dans la création de leur propre studio.
La production angoumoisine est reconnue partout dans le monde. Le film d'animation Le Petit Nicolas - Qu'est-ce qu'on attend pour être heureux ? concourait ainsi au Festival de Cannes en 2022. Linda veut du poulet a reçu en 2023 le Cristal du meilleur long métrage au prestigieux festival d’animation d'Annecy. Le Chant de la mer a été nommé aux Oscars en 2015. Unicorn Wars et They shot the piano player figuraient cette année dans les œuvres présélectionnés en vue de décrocher une statuette. Et Mars Express pourrait obtenir un César le mois prochain. Pour ne citer qu'eux. Un tel rayonnement profite à la ville. Magélis évalue à 40 millions d’euros le chiffre d’affaires généré par l’animation destinée à télévision et au cinéma.
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