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Rachid Bouchareb : « Les morts violentes d'Arabes en France, cela ne s'est jamais arrêté » - Le Monde

Rachid Bouchareb lors du Festival d’Angoulême, le 24 août 2022.

Né à Paris voici soixante-neuf ans, vivant à Bobigny et Drancy (Seine-Saint-Denis) jusqu’à ses 30 ans, Rachid Bouchareb, d’origine algérienne, est, avec son premier long-métrage Bâton rouge (1985), l’un des pionniers de ce qu’on appelait « le cinéma beur » à une époque qu’on peut désormais tranquillement qualifier d’antique. De la banlieue, Bouchareb ne filme pourtant presque rien. Il ne rêve que de départs, d’ailleurs, souvent d’Amérique, où il expédie déjà les trois lascars de Bâton rouge. Il n’en reste pas moins attaché à la mémoire et à l’histoire des siens : Indigènes (2006), première fiction française sur les tirailleurs algériens, ou Hors-la-loi (2010), sur la marche vers l’indépendance algérienne, en témoignent. Nos frangins, évocation du double assassinat, en 1986, de Malik Oussekine et d’Abdel Benyahia par la police française, est réalisé à cette enseigne.

En 1986, vous avez 33 ans et vous venez de réaliser votre premier long-métrage. Que représente alors, pour le citoyen français que vous êtes, le double meurtre de cette nuit du 5 décembre ?

Comme beaucoup de gens, cela m’a énormément touché. Il ne faut pas oublier qu’il y avait eu avant des mouvements antiracistes très importants, la Marche des beurs en 1983, SOS-Racisme en 1985, qui prônaient la fraternité et qui nous laissaient fortement espérer en une amélioration de la situation en France. Et puis voilà que l’affaire Oussekine nous ramenait brutalement aux massacres d’octobre 1961 à Charonne, même si les morts violentes d’Arabes en France, cela ne s’est jamais arrêté. Pour moi, il est clair qu’il y a là une tragique continuité.

Pourquoi, selon vous, cette résurgence, aujourd’hui, de la mémoire de ce drame, tant dans votre film que dans la série diffusée sur Disney+ qui l’a précédé ?

Je crois que c’est une pure coïncidence. Pour ma part, cela faisait vingt-cinq ans que j’avais ce projet. Nos frangins, j’y ai pensé en même temps qu’Indigènes et Hors-la-loi. C’est la suite d’une même histoire. Les grands-parents sur le front de la seconde guerre mondiale. Les parents qui débarquent en France dans les années 1960. Et la première génération des enfants nés dans ce pays.

Les deux affaires, qui ne se déroulent pas dans le même contexte, sont-elles dès cette époque reliées entre elles ?

Je n’ai pas souvenir qu’elles l’aient jamais été. Les circonstances de la mort de Malik Oussekine ont mis toute la lumière sur cette affaire. Le Quartier latin. Les manifestations étudiantes. La police en uniforme. Les voltigeurs. Abdel Benyahia, qui intervient pour faire cesser une rixe, se fait tirer dessus par un policier ivre, en civil, dans un café de Pantin. Encore aujourd’hui, je croise beaucoup d’anciens manifestants de l’époque lors des avant-premières du film, aucun n’a entendu parler de Benyahia.

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