Tout le monde se réjouit du retour du public dans les salles de cinéma depuis le début de l’année, avec pour symbole les jeunes aimantés par les blockbusters américains. Mais sans voir qu’une grande partie des films d’auteur perdait toujours de 30 % à 50 % de spectateurs par rapport à 2019.
Ce lièvre, soulevé par la revue Ecran total du 10 mai, nous est confirmé par Carole Scotta et Eric Lagesse, coprésidents du DIRE, le syndicat des distributeurs indépendants. Autrement dit, les salles et le cinéma vont mieux, une quantité de films plus mal.
Le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) et l’institut Comscore constatent que, dans chaque catégorie de films, l’écart s’accroît entre gagnants et perdants. Pour l’art et essai, la surprise Je verrai toujours vos visages, de Jeanne Herry (plus d’un million d’entrées), cache « des paquets de films encore plus ignorés qu’avant », explique Eric Marti, de Comscore. Les œuvres les plus fragiles, exigeantes, créatives, audacieuses, échevelées – à chacun son qualificatif –, avec un cinéaste peu connu et sans stars peuvent stagner sous les 5 000 entrées.
Un flash-back, pour comprendre. Entre 1995 et 2010, le nombre de films français produits chaque année a doublé, pour ensuite se stabiliser : 200, si on ne retient que ceux agréés par le CNC, 300 si on ajoute ceux qui ne le sont pas. Mais comme le public, lui, n’a pas vraiment augmenté, un bon quart de titres totalisent moins de 10 000 entrées et près de 40 % moins de 20 000. A l’autre extrémité, plusieurs films d’auteur atteignaient naguère le million de tickets alors qu’en 2022, il n’y en a eu qu’un, En corps, de Cédric Klapisch.
Selon le DIRE, le Covid-19 aurait plombé un cinéma de recherche, qui n’était déjà pas en forme. Le malaise est sans doute lié au profil du public. Ce n’est pas le CNC, pourtant féru de statistiques, mais le ministère de la culture qui, dans ses études, a cerné l’amateur de films arty : senior, cultivé, urbain, aisé, friand d’autres arts. Un public « rêvé », mais qui a des défauts : il met l’offre culturelle pléthorique en concurrence, y ajoutant les plates-formes de streaming ; il est loin du peuple des exclus, que les élus de tous bords veulent mener à la culture ; il n’est pas remplacé par des plus jeunes.
Une formule délicieuse, proche de la litote, est ainsi devenue récurrente : « Ce film n’a pas rencontré son public. » Comme si ce dernier était abstrait, impensé même. « La filière a agi comme si les spectateurs ne faisaient pas partie de son champ », confirme l’économiste du cinéma Laurent Creton (université Paris-III).
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