Patrick Juvet avait commencé à 20 ans comme chanteur de variété avant de s’imposer en star du disco grâce au tube « Où sont les femmes ? ». Carrière fulgurante et vie d’excès, il s’est éteint à Barcelone le 1er avril à l’âge de 70 ans.
Pas de nouvelles depuis deux jours et, à chaque appel, son répondeur. Étrange… « D’habitude, confie son agent et confident Yann Idoux, il téléphone quotidiennement. J’ai eu un mauvais pressentiment. J’ai demandé à un ami de se rendre à son domicile à Barcelone. » Francisco a beau frapper à la porte, rien ne bouge. « Il s’était enfermé à double tour, on a dû contacter un serrurier. »
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À l’intérieur, pas un bruit. Aucune trace de vie dans le vaste salon, ni sur la terrasse avec vue à 360 degrés sur la mer et les divines tours de la Sagrada Familia. Dans la chambre, Patrick Juvet gît étendu. Pas de traces de coups ni d’ecchymoses. Selon les autorités, l’icône du disco serait décédée de « mort naturelle ». « Il avait le cœur fragile, abîmé par une consommation excessive d’alcool », reconnaît son ami Michel Dami. « Une autopsie en cours à l’institut médico-légal lèvera le doute après l’examen du foie et du cœur », explique une employée du tribunal supérieur de Barcelone.
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Un suicide ? Son agent n’y croit pas : « Il y a trois jours, tout allait bien. » Pas si bien à en croire son amie Josie Foichat, ex-relation publique du Bus Palladium et chez Castel. L’hypocondriaque Patrick lui avait affirmé être atteint d’un cancer des reins : « Opéré il y a deux mois, il disait avoir entamé une chimiothérapie insupportable. » Un récent check-up le dément. Il s’agirait donc d’une fable de plus inventée pour capter l’affection de son entourage. Patrick Juvet vivait mal le temps qui passe et ses effets ravageurs, gommés à coups de bistouri.
Installé à Barcelone depuis plus de vingt ans, il s’y était constitué une bande, des expatriés comme lui, des médecins, des artistes… Il prenait le métro incognito, se promenait dans les rues ; personne ne le reconnaissait à part parfois quelques touristes sur les Ramblas, mais ça lui plaisait. Il adorait cette ville trépidante, ses dancefloors enflammés, ses terrasses animées et ses galeries d’art. Patrick avait la bougeotte ; il envisageait d’acheter une « maison d’hiver » au Brésil, de la transformer en colonie de vacances pour enfants défavorisés. Quand il passait à Paris, il logeait dans un hôtel, du côté de la tour Eiffel, avant de louer il y a trois ans un appartement près de Notre-Dame. Mais dans ce Paris assagi, aseptisé, il se sentait mal, sans repères. Trois mois plus tard, le voilà qui rebouclait ses valises pour Barcelone. Sous le soleil catalan, il déménageait chaque année, en quête d’un énième appartement à retaper pour le revendre, plus-value à la clef. L’argent ne coulait plus à flots, mais, avec ses droits d’auteur et la rediffusion de ses morceaux, c’était l’équivalent d’une confortable retraite qui tombait sur ses comptes. Ça ne suffisait pas à ce dépensier, qui avait dû s’accommoder d’une existence bohème.
« Depuis la disparition de sa mère, il m’appelait parfois, saoul, en pleine nuit », regrette Michel Dami
Jusqu’au confinement. « Plus de sorties, plus de restos ni de concerts : j’en ai marre d’être enfermé, isolé », se lamentait-il auprès d’amis. Il n’avait qu’une envie : « Repartir en tournée », lui qui bouillonnait, prisonnier dans son appartement au point que son équilibre a vacillé. Ravagé par l’ennui, la solitude, Juvet déprimait. « J’ai 70 ans. Quel âge j’aurai quand je remonterai sur scène ? » s’inquiétait-il. « Il ne s’est pas suicidé mais s’est laissé mourir de désespoir, analyse le producteur de la tournée Âge tendre, Michel Algay. Le Covid l’a tué à petit feu. » S’était-il remis à boire ? « Il était pudique, dans le déni », élude Claudine, son ex-maquilleuse. Il avait grossi : « Patrick grignotait pour compenser. » « Depuis la disparition de sa mère, il m’appelait parfois, saoul, en pleine nuit », regrette Michel Dami. Son rituel : du blanc le matin, puis du rouge, rarement des alcools forts. Des vieux démons, toujours prêts à resurgir. Tout avait été fulgurant pour Patrick Juvet : à 21 ans, il sort son 45-tours « La musica » qui se vend à un million d’exemplaires. Cinq ans plus tard, en 1977, l’album « Paris by Night » intronise l’éphèbe à la chevelure platine roi du disco.
Jean-Michel Jarre écrit, lui compose et interprète. « Où sont les femmes ? » devient l’hymne de cette ère « boules à facettes ». Juvet enchaîne les concerts. Le rythme est effréné ; les attentes de la maison de disques et la pression, immenses. Épuisé, il frôle le burn-out. Son amie Nicoletta volera souvent au secours de l’« ange blond ». « On avait en commun la Suisse, confie-t-elle. Il venait du canton de Vaud, moi du Chablais ! » C’est à elle que Juvet doit sa carrière aux États-Unis : « Pour lui remonter le moral, je lui ai dit : “Va t’aérer à New York, je connais une amie suisse qui pourra t’héberger.” Et je l’ai aidé financièrement. » Un soir, un voisin s’invite. « Je le connais ! » s’écrie Patrick. C’est Jacques Morali, un des producteurs du groupe Village People. L’alchimie opère ; sur un coin de table, les deux accouchent de « I Love America ». À sa sortie, en 1978, le tube se classe numéro un aux États-Unis. Bientôt, il sera diffusé en boucle sur toutes les ondes de la planète. Les années 1980, la grande époque : la fête à gogo, l’insouciance, les excès. « On se retrouvait au Studio 54, le champagne coulait à flots, on s’amusait, draguait, riait aux éclats, euphoriques, se remémore le complice Plastic Bertrand. On roulait en Rolls avec chauffeur, on se déplaçait en Concorde, la cocaïne était “festive”. »
Puis la musique disco est passée de mode, Patrick Juvet aussi. Ringards, ses tubes pour midinettes ; aux oubliettes, sa voix aux accents Bee Gees. « On l’a cantonné à ce seul registre, ça l’a blessé : on oubliait ses titres composés avec Françoise Hardy, Marc Lavoine, Claude François, sa B.O. pour un film de David Hamilton », regrette Yann Idoux. « Patrick était un compositeur hors pair, un prodige du piano, premier prix du Conservatoire ! » enrage Nicoletta. La descente aux enfers sera vertigineuse.
Dans « Les bleus au cœur », un livre paru en 2005, il la dévoile. Tout y est : l’alcool pour tenir, les comprimés glissés dans ses verres de whisky par les gens des maisons de disques pour « carburer ». Et son combat acharné contre l’addiction : les cures à répétition, les rechutes. Il lui faudra dix ans à s’en sortir.« À cette époque, il cuvait son “mal de vivre” », déplore Yann Idoux. Patrick ne se remettait pas de la disparition de Florence Aboulker, celle qui l’avait lancé et le seul grand amour de sa vie bien qu’il prétendît préférer les hommes. « Je l’ai remis en selle, programmant des concerts dans tous les Zénith », souligne son agent. Chaque soir, salle comble. Patrick est revigoré par l’adrénaline, la frénésie, ce rythme palpitant qui lui manquait tant. « On sillonnait la France en voiture, d’hôtels en tables étoilées. Anne-Sophie Pic, les frères Troisgros… Il se régalait de leurs escargots persillés. » Il s’était mis à l’eau et au Coca. Plus une goutte d’alcool.
Michel Algay lui offre son salut en 2008 avec la tournée Âge tendre : 200 dates devant 10 000 spectateurs, ses « plus belles années ». Il chantait ses tubes, heureux, en compagnie de Dave, Sheila, Stone et Charden. Juvet voulait recommencer, mais ses projets – un disque avec Bob Sinclar, un concert à l’Olympia – n’aboutissaient pas. « Tu as du talent, lui répétait Nicoletta. Remets-toi au piano, prépare un récital. Sauf qu’il n’en avait plus le désir ou le courage. » De nouvelles épreuves l’ont encore fragilisé : la perte de son père et de son frère après celle de sa mère fin 2017. Lui qui, tout jeune, avait quitté le domicile familial pour devenir mannequin en Allemagne s’était rapproché d’elle tardivement, lui rendait visite en Suisse, l’invitait à Barcelone, l’emmenait sur la croisière Âge tendre. Chaque soir, à 21 heures, il l’appelait. Une relation devenue fusionnelle. Il disait que sa mère, c’était la femme de sa vie.
« La nuit, Barcelone, tout ça, c’était une fuite », fulmine Nicoletta
À Barcelone, Patrick Juvet vivait la nuit. Assagi, casanier, il regardait en boucle les infos et la météo. Ces derniers mois, il écoutait les maquettes de DJ intéressés par ses morceaux. Il s’était remis au piano, composant des titres pour un nouvel album. Il ne draguait plus dans les boîtes de nuit, auxquelles il préférait Internet. Accro aux sites de rencontres, il se cachait derrière un pseudonyme mais affichait sa vraie photo sur son profil. À la rubrique âge, il répondait : 105 ans. Des aventures, intenses et brèves, s’ensuivaient.
« La nuit, Barcelone, tout ça, c’était une fuite », fulmine Nicoletta. « Il était dans cet état à cause de deux obsessions : la solitude et l’amour », confie son ami Vincent Fournier. À ses débuts, Patrick était tombé sous le charme de Jean-Michel Jarre, sans réciprocité. Il lui a manqué quelqu’un à ses côtés. « Hypersensible, romantique, bisexuel, il avait cette dualité en lui », commente Nicoletta. Patrick aimait le corps des hommes et la complicité des femmes. Il avait fait tourner bien des têtes, allant jusqu’à répudier une jeune Melanie Griffith : « Elle voulait l’épouser. Il préférait sa mère, Tippi Hedren », raconte Yann Idoux. Il a longtemps refusé de rédiger un testament. Il s’était décidé il y a quelques années à aller chez le notaire. « Il changeait d’héritiers selon ses humeurs : un jour, les enfants défavorisés ; un autre, sa sœur ou un ami » confie son agent. Il n’y aura pas d’enterrement. Il souhaitait être incinéré, sa sœur rapatriera ses cendres en Suisse. Patrick Juvet croyait en la réincarnation, persuadé qu’il existe un « après ». « Et si on recommençait », entonnait-il à son piano.
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